Dans les tranchées du langage
by Lukas Isenga
I.
A-t-elle des yeux, la langue, pour voir ce qu’elle cache dans ses mots ?
ces espaces
aussi imperceptibles que ceux entre les dents qui lui permettent de parler,
de devenir un langage
Ou, a-t-il des mains, ce langage,
des doigts de chair pour tâter le grain des tranchées
qui s’y cachent ?
Creuse-t-il la terre de ces tranchées avec ces mains pour enfouir les sens évidents et
ceux qui s’annoncent au-delà des mots semés
afin de cultiver des mangroves de discours
verdoyantes, resplendissantes en présence du soleil-lecteur qui
ne voit rien que les feuilles remplies de sens évidents
Celui qui parle voit clairement ses tranchées et l’ordre de ses plantes
celui qui parle les a dirigées sachant couvrir
ce qui ne doit pas se dire
disant ainsi
en ne disant pas toujours exactement
ceci n’est pas une pipe
mais ici, l’image vaut autant que la chose
Dire sans le savoir c’est toujours dire ; c’est dit
donc faites attention au langage, aux sens semés.
Alors voit-elle cette langue ce qu’elle cache quand elle devient
à la fois
celle qui parle et qui est parlée ?
celle qui dirige et qui est dirigée ?
II.
Il nous faut donc nous rappeler que nous avons créé le langage
que ses secrets sont les nôtres
que ses sujets sous-jacents le sont aussi
Encore, c’est nous qui cachons des choses
ces « choses », des référents aussi vagues que nos mots
derrière lesquelles se trouvent les vraies idées, les préjugés portés n’importe où
sans aveux: les haines cachées et systémiques
qui nous dévorent
cœur et corps,
Vous et moi, de tous les pays occidentaux—
ces stratégies sont verdoyantes, resplendissantes en présence de
nous les lecteurs qui ne voyons que—
qui ne voulons voir que
les sens évidents
Nous devons creuser dans notre langage et désherber ce jardin
car il est toujours notre jardin à nous
c’est toujours notre travail à nous de le rendre aussi rempli de belles fleurs, verdoyantes
et resplendissantes,
que possible
que le monde y soit accueilli
Nous devons toujours comprendre ce que veulent dire nos mots
ce qu’ils disent de nos cœurs
Ceci est bien une pipe,
et c’est aussi un devoir—le nôtre.
In Language’s Trenches
I.
Does a language, a tongue, have eyes to see what it hides in its words?
those spaces
as imperceptible as the ones between the teeth that allow it speech
Or does a language have hands,
fingers of flesh to feel out the grain of the trenches
that hide themselves there?
Does it dig with these hands at the earth of these trenches to bury the obvious meanings and
those that speak up far beyond the seeded words
to grow mangroves of discourse
verdant, resplendent in the presence of the reader-sun who
sees nothing but leaves full of obvious meanings
The one who speaks sees clearly the trenches and the order of their plants
the one who speaks has directed them, knowing to cover
that which should not be said
thus saying
in not ever exactly saying
this is not a pipe
but here, the image is worth as much as the thing
To say without knowing is still to say; it’s said
so choose words, diction, with care.
So does a tongue see what it hides when it becomes at once
speaker and spoken?
director and directed?
II.
We have to remember: we created language
its secrets are ours
its subtext our own
Still, we are the hiders of things—
“things” a referent as vague as our words
behind which are the true ideas, the prejudices carried around
without confession: the hidden, systemic hates
that devour us
heart and body
You and I, of all Western countries
these strategies are verdant, resplendent in our presence
the readers who see only—
want to see only
the obvious meanings
We must dig into our language and weed this garden
because it is still our very own
it is still our work alone to make it as full of beautiful flowers, verdant
and resplendent,
as possible
may the world be welcomed here within.
We must understand always what our words say,
what they say of our hearts
This is indeed a pipe,
and it is a duty—and it is ours.